Unique EP.05 - Sarah Benali, le retour aux sources d'une journaliste passionnée

Sarah Benali est une jeune journaliste qui a vécu 11 ans en France. Motivée par des raisons professionnelle et personnelle elle décide de rentrer en Tunisie après cette longue période. Un an après son retour, elle n’est pas encore prête à dresser un bilan de sa nouvelle vie. C’est donc avec plaisir qu’elle nous fait revivre son parcours qui l’a mené jusqu’ici. Voici son histoire.

Unique EP.05 - Sarah Benali, le retour aux sources d'une journaliste passionnée

8 milliards de personnes sur Terre, ça en fait du monde. Du monde qui étudie, qui travaille, qui suis ses rêves et ses ambitions. Du monde qui a ses valeurs, ses croyances et ses motivations. 8 milliards de personnes sur Terre, 8 milliards de récits et aujourd’hui on te fait découvrir une nouvelle histoire avec Unique, notre série qui met en avant des profils inspirants aux parcours passionnants.

Installée en Tunisie depuis un an et demi, Sarah est journaliste reporter et chargée de production auprès de médias étrangers. Après 11 ans en France, entre Lille et Paris, elle décide de rentrer.

“Ça fait une année et demi que je suis rentrée de France. J'y ai passé 11 ans. Une partie à Lille où j'ai fait des études en droit et une partie à Paris où j'ai fait des études en journalisme et j'ai travaillé un petit peu. Puis la Covid arrive et je décide, grâce à plusieurs rencontres, mais une rencontre qui m'a un peu réconciliée avec une possibilité qui a fait que j'ai décidé de revenir. Mon cœur était toujours à cheval entre les deux rives et à un moment donné il fallait que je prenne une décision. Et c'est vrai qu'en Tunisie ça me permettait quelque part de réaliser et de concrétiser certains projets que j'avais à cœur.”

Sans filtre, Sarah avoue que c’est aussi pour sa santé mentale qu’elle a pris cette décision. Mais aussi pour être plus proche de ses parents.

“On oublie qu’à un moment donné de la vie nous, on commence notre carrière et on commence à développer des projets etc… Et il y a les parents aussi qui sont là à Tunis et qui prennent de l'âge. Et ces moments de retrouvailles sont très précieux. Donc à partir d'un moment tu te dis en fait “moi je fais ma vie et eux à un moment donné, Dieu les préserve, mais à un moment donné ils vont partir”. Même si là à Tunis je ne les vois pas assez parce que je travaille beaucoup mais je les vois quand même, ils sont à côté de moi, s'il y a une urgence ou quoi que ce soit. Mais c'est vrai que ces moments-là on ne les valorise que quand on prend de l'âge.”

Comme de nombreux jeunes, Sarah est partie en France à 18 ans pour poursuivre ses études. Son aventure commence à Lille et se termine à Paris. Consciente de l’opportunité qui s’offre à elle, Sarah a profité de chaque instant même ce n’était pas toujours facile.

“Ma migration à moi s'est faite très tôt dans la vie. C'est-à-dire j'ai eu mon bac je suis partie parce que pour moi c'était une sorte de cause à effet, de conséquences normales. C'est-à-dire tu pars pour voir ailleurs quand tu es jeune, tu pars pour apprendre,  tu pars pour faire des rencontres et puis te construire, te former, te connaître. C'est une histoire de découverte, la découverte de soi et c'est un processus. Ça a ses défauts ou ses désavantages. C'est-à-dire que tu pars dans un pays où, même si culturellement tu as un petit peu baigné dans la culture francophone, mais tu pars dans un pays où par exemple tu es quand même un peu orpheline. Il y a une rupture qui se produit. Quand les étudiants partent le vendredi pour passer le week-end avec leurs parents, toi tu es seul pendant le week-end chez toi. Il n'y a pas de brunch avec les parents le dimanche. Ça te manque, ça te manque énormément. Et aussi le fait de revenir et de repartir c'est une plaie en soi”

Sarah a d’ailleurs pu surmonter ces challenges grâce à une vision bien claire de ses objectifs.

“Je me suis dit “tu vas réussir tes études”. Donc j'ai réussi mes études, j'ai déménagé à Paris à un moment. Tous mes camarades du lycée étaient déjà installés à Paris, donc j'ai retrouvé un semblant de famille, qui était ma deuxième famille. Et puis je l'ai surmonté parce que j'avais des objectifs dans la vie. Je me disais tu réussis tes études et tu te formes surtout parce qu’à un moment donné tu vas devoir peut-être rentrer, tu vas devoir aller dans d'autres pays, donc il faut que tu aies un capital intellectuel qui va te permettre de te battre dans la vie, de te construire ton avenir et surtout de dire non !”

Il y a une citation de Zidane qui dit : "C’est mon père qui nous a appris qu’un immigrant devait travailler deux fois plus, qu’il ne doit jamais abandonner”. Qu’est-ce que tu en penses ?

“C'est vrai. Alors pour la petite anecdote j'étais en master 2 en droit international et à un moment on était en train de dîner à La Haye, parce qu'il y a eu la cour pénale internationale là-bas, on faisait des visites d'études. Et on était en train de dîner avec un professeur qui venait de Suisse et qui était un ancien de l'armée. Il nous racontait que ses enfants aussi sont des employés de l'armée, des officiers, et ils ont décidé de faire ce parcours-là. Puis il a buggé sur le mot pour dire ‘moi je n’ai jamais essayé de les persuader de faire cette carrière-là”. Il hésitait sur un mot, c'était le prosélytisme. Il ne voulait pas faire du prosélytisme. Et donc il buggait, il buggait et toute la promotion ne pouvait pas dire le mot et moi je lui dis ‘c'est prosélytisme’ il m'a dit "ouais". Et il y a une camarade de classe qui m'a regardé comme ça et qui m'a dit “Sarah qui ne sait pas dire deux mots en français elle a réussi à trouver le mot.” se souvient Sarah.

“Une fois aussi j'étais avec un camarade de classe qui était bobo du 8e arrondissement de Paris et qui m'a dit "toi de toute façon tu es la bobo du bled". C’est des piques comme ça souvent sur le ton de la rigolade, mais c'est vrai que ça te pousse à faire plus. On va toujours te dire d'où tu viens et on va avoir un certain nombre de stéréotypes, de préjugés, tu pourras les dépasser mais le regard de l'autre il sera toujours là. Soit pour te réduire à ça, soit pour te jalouser aussi quand tu réussis quelque part.”

En parlant de stigmatisation on ne pouvait s’empêcher d’évoquer la situation des migrants subsahariens qui font face à une vague raciste en Tunisie. Peut-on alors comparer ce qu’ils vivent en Tunisie et ce que vivent les immigrés en France ?

"Comparer oui. D'ailleurs c'est pour ça que je m'indigne ces temps-ci et que ça m'a profondément touché. Quand je suis arrivée en France on va dire que j'étais de droite, il faut le dire j'étais de droite parce que je venais aussi d'une société de droite conservatrice et qui ne nous apprenait pas à aimer l'autre ou à aller à la découverte de l'autre. Et un jour, je me baladais à Lille, il y avait une manifestation pour régulariser la situation des sans-papiers. Il y avait des Français dans cette manifestation, et je me suis dit, ‘moi Sarah l'immigrée je ne serai jamais allée dans cette manifestation et il y a des Français qui le font c'est que ça devrait avoir quand même une certaine justesse’. Donc c'est comme ça que j'ai commencé à me documenter, à beaucoup lire. Par exemple Rousseau il croit qu'on est bon à l'intérieur tous les êtres humains sont bons. Moi avec le temps j'ai découvert que non en fait. On est prédisposé à dégager de la violence il faut un aspect culturel qui nous permet en fait de se respecter, de créer un socle commun de valeur enfin, d'établir une paix sociale.”

Parlons un peu argent et finance personnelle alors si je te dis finance personnelle éducation financière qu'est-ce que ça t'évoque ?

“FIASCO !” plaisante Sarah.

“J'étais très bonne en gestion d'argent à 18 ans je savais très bien gérer de l'argent et mettre de côté l'épargne et m'acheter une caméra à la fin de l'année m'offrir des cadeaux etc offrir des cadeaux à la famille. Mais ce n’est pas la gestion d'argent qui nous manque mais aussi cette économie, macroéconomie. C'est-à-dire comment négocier un salaire. C'est-à-dire comment tu fais pour trouver des investisseurs. Comment tu te vends toi-même devant quelqu'un, dans un entretien. Ça, c'est quelque chose. Mais c'est vrai que par exemple quand je suis avec mes potes filles, on parle très peu d'argent. Quelque part, comme les hommes ont été généralement éduqués à être les gagne-pain c'est vrai qu'ils sont plus familiarisés avec ces notions-là. Après d'un point de vue étude les femmes sont plus les gestionnaires de la pauvreté comme on dit. C'est-à-dire quand la famille est pauvre, c'est la femme qui gère l'argent. C'est bizarre. Et quand la famille est riche c'est le papa qui gère. C'est bizarre, mais c'est ça. En tout cas ce sont les études qui le montrent”

Parler d’argent peut être tabou pour certaines personnes et c’est quelque chose que Sarah peut comprendre.

“Avant, non. Aujourd'hui, c'est vrai que je n’ai pas envie de parler de mes finances. D'abord c'est un fiasco ! Et de deux, je n’ai pas envie de parler de mes finances parce que depuis que je suis arrivée en Tunisie je suis devenue superstitieuse… Et que l'argent ça part et ça vient... et qu’on n'est pas dans une situation économique stable. Moi je suis en freelance, je n’ai pas de salaire fixe pour le dire. Parfois je suis payée, parfois je suis payée tous les 3 mois… tu vois. En termes d'épargne peut-être l'épargne que tu as mise de côté va te servir le mois d'après parce que tu n'as pas été payé, ou il y a eu des retards de paiement etc.”

D’ailleurs on ne pouvait s’empêcher de rebondir sur la situation économique instable en Tunisie. Ayant étudié en France, Sarah a connu la galère de l’allocation étudiante limitée à 3000 dinars par mois.

“Je suis arrivée en France en 2011, j'avais tout juste 18 ans. Il fallait suivre une procédure c'est-à-dire aller prouver à la banque centrale que tu n'avais pas de bourse. Et je ne sais pas combien de personnes reçoivent une bourse en Tunisie pour faire des études à l'étranger mais je sais qu'ils sont extrêmement minoritaires. C'est-à-dire qu’il aurait fallu inverser la charge de la preuve pour nous nous épargner Beb Bnet et tout le tralala administratif. En tout cas c'est une grande galère pour prouver que tu n'es pas boursier pour que tes parents puissent te virer de l'argent chaque mois. D’un autre côté, pour l'État Tunisien, ton année scolaire commence en septembre et se termine en juin. Donc juillet août tes parents normalement ne pouvaient pas t'envoyer de l'argent si tu restais. Par exemple moi j'étais dans des sessions de rattrapage donc il fallait que je reste pour réviser pour les mois de juillet et août. Si tu payes un loyer par exemple et que tu continues à louer ton appartement, on a aucun moyen pour te faire virer de l'argent”

En rentrant en Tunisie, Sarah découvre ensuite les joies de l’allocation touristique.

“Les gens qui sont résidents à l'étranger ne peuvent pas avoir d'allocation touristique. En tout cas, moi je viens de l'apprendre. Parce qu’avant je pouvais le faire. Quand je suis revenue en Tunisie je n’ai pas changé de passeport, donc je suis toujours résidente à l'étranger, même si je n’ai plus de carte, ni de compte bancaire à l'étranger. Et donc on me refusait une allocation touristique pour un petit voyage au Maroc, puis dans l'autre bureau de change on ne m'a même pas posé la question. Et l'allocation touristique c'est 6000 dinars par an, c'est-à-dire moins de 2000€, très peu... très peu, surtout pour des personnes qui voyagent pour le travail. Même pour les gens qui aiment le voyage en fait ! Non seulement on est enclavé en Tunisie et l'état du pays est tellement déprimant et en plus on t'interdit le voyage !”

S’ajoutent à cela les opérations de tous les jours qui rament pour des raisons souvent incomprises.

“Ma banque tunisienne ? Ah oui ! Ce mois-ci par exemple, j'ai déposé un chèque pour recevoir de l'argent, ça a pris 3 semaines sans aucune raison ! Parce qu’il y a eu l'effet du Aïd, il y a eu la séance unique… Je travaille pour des médias à l'étranger, j'ai aussi des retards de réception de ma rémunération.  Tu dois justifier bien sûr auprès de ta banque et la banque centrale, tu dois sortir les factures, il faut que ça soit le bon chiffre, il faut montrer un contrat... Alors parfois quand on est journaliste on travaille pour des médias étrangers il n'y a pas de contrat et il n'y a pas de bon de commande non plus ! Donc il y a des choses aussi, par rapport à notre travail je veux dire, c'est très compliqué. On te met tellement de bâtons dans les roues, tu te dis: soit je reste et je fais avec, c'est un système de bricolage, soit je me casse et puis je ne reviens plus ! En tout cas d'un point de vue professionnel. Je ne vais plus être dans ce pays-là qui ne me permet pas de créer de la valeur et qui me ralenti, ralenti mon activité professionnelle.”

Pour clôturer notre échange, on a demandé à Sarah si elle avait l’occasion de faire passer un message à elle jeune, qu’est-ce qu’elle lui dirait ?

“Évite les garçons !” plaisante Sarah. “Laisse tomber les romans d'amour et concentre-toi sur l'argent c'est important. Je lui dirai de continuer à lire c'est important, de continuer à apprendre, de s'entourer de personnes bienveillantes et de laisser tomber les gens qui seraient rédhibitoires à un moment donné mais tu le sauras après. Et puis c'est vrai qu'entrer dans le domaine professionnel très tôt c'est bien, ça débloque plein de situations et ça te donne une certaine maturité intellectuelle pour zapper tous les problèmes qui ne sont pas importants au final. Voilà !”

Note de Emna :

J’ai rencontré Sarah dans le cercle privé, grâce à des amis en commun. J’ai tout de suite été séduite par sa personnalité très curieuse et sa capacité à poser des questions stimulantes, ouvrant ainsi la voie à des débats riches et offrant à chacun la possibilité de donner son avis. Son parcours entre les deux rives pourrait en inspirer plus d’un. Et je pense que revenir en Tunisie à une période où tout le monde semble la fuir demande pas mal de courage. C’est pour cette raison que je tenais à partager son témoignage avec vous.

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