Unique EP.04 - Leila Ben Gacem, l'art de réinventer sa vie autour de l'entreprenariat social

Leila Ben Gacem est la propriétaire de deux maisons d’hôtes, Dar Ben Gacem, nichées au coeur de la Médina de Tunis. L’aventure commence en 2006 avec la création de sa première entreprise de conseil, Blue Fish. Si aujourd’hui, Leila a trouvé son équilibre et se dit en harmonie avec elle-même, son parcours n’était pas des plus simples. Voici son histoire.

Unique EP.04 - Leila Ben Gacem, l'art de réinventer sa vie autour de l'entreprenariat social

8 milliards de personnes sur Terre, ça en fait du monde. Du monde qui étudie, qui travaille, qui suis ses rêves et ses ambitions. Du monde qui a ses valeurs, ses croyances et ses motivations. 8 milliards de personnes sur Terre, 8 milliards de récits et aujourd’hui on te fait découvrir une nouvelle histoire avec Unique, notre série qui met en avant des profils inspirants aux parcours passionnants.

C’est au cœur de la Médina de Tunis que Leila nous a donné rendez-vous, à Dar Ben Gacem. Installée dans un petit salon, devant un tableau en longueur qui encadrait l'attestation de propriété citant tous les propriétaires de la demeure depuis sa construction, Leila nous raconte son histoire.

“Mes deux projets sont des entreprises sociales, Dar Ben Gacem est une maison d’hôtes. On a restauré deux maisons dans la Médina antique de Tunis, et les deux maisons comptent au total 15 chambres, c’est comme un petit hôtel. On travaille beaucoup avec la communauté. Comme on est une entreprise sociale, notre priorité c’est la société, l’humain et l’environnement, avant les gains financiers. Le gain financier est très important, parce qu’il nous permet de faire plus de choses et de se développer.
On investit tous nos profits dans la restauration d’autres espaces et on aide aussi les jeunes de notre quartier. Par exemple, ceux qui ont un projet culturel ou qui veulent poursuivre leurs études. Et Blue Fish, c’est la société de conseil que j’ai fondée en 2006, c’est avec elle que tout a commencé et c’est aussi une entreprise sociale”.

Ce sont ses nombreux questionnements qui ont poussé Leila sur la voie de l’entrepreneuriat social.

“Je me suis toujours posé de nombreuses questions. Par exemple, pourquoi on importe de l’occident mais nous, on n’exporte pas ? Pourquoi nous, Tunisiens, avons toujours l’impression que l’étranger est mieux que nous ? Pourquoi on a l’impression que tout ce qui vient de l’étranger est « Waw » ? Pourquoi on ne se voit pas « waw » ? Alors que je pense qu’on a un héritage énorme qui peut, si on s’investit rien qu’un peu, nous faire sentir que nous aussi on a notre place dans ce monde, et que nous aussi on est « waw » !

Fonder une entreprise sociale est un très beau challenge, selon Leila. Un challenge que n’importe qui peut relever. Elle nous explique que peu importe le domaine dans lequel on travaille, il y a certainement quelque chose à faire.

“On a un ami qui est photographe, il vit de ça et de temps en temps il vient donner des cours aux enfants, il leur montre comment cadrer etc…Trouver l’équilibre entre le retour sur investissement financier et le retour sur investissement social, c’est quelque chose qui me passionne”.

“Et je pense surtout en Tunisie aujourd’hui « More than any time » Celui qui peut réparer quelque chose, qu’il le fasse “ ajoute Leila.

Son enfance, Leila l’a passée à l’étranger avec sa famille.

“On a grandi à l’étranger avec mes parents. Et toute notre vie on nous disait “quand on rentre en Tunisie”, “on va construire une maison en Tunisie”, on va faire ci, on va faire ça… et donc on a grandi avec cette mentalité. Même si tu passes toute ton enfance à l’étranger, tu as toujours l’impression que la Tunisie, c’est la destination finale”

D’ailleurs la Tunisie, elle ne l’a vraiment connue qu’après ses études supérieures. Elle qui voulait absolument faire sa vie dans son pays d’origine, a dû faire face à de gros challenges.

“Quand j’ai fini mes études supérieures aux Etats-Unis j’avais très envie de rentrer en Tunisie. D'ailleurs ce retour à Tunis a été un grand choc. Je ne me suis pas retrouvée dans la société, financièrement c’était compliqué. C’était un vrai challenge ! En plus à cet âge-là, au début de la vingtaine, c’est important de se faire des amis, je n’ai pas réussi à m’en faire. Tout le monde me jugeait parce que je ne parlais pas bien français, je n’écrivais pas bien non plus. Alors que moi je n’avais jamais étudié le Français…“ se souvient-elle.

Suite à ce retour compliqué, Leila décroche un poste à l’étranger et s’envole pour l’Allemagne. Nouveau départ, nouvelle vie ! Mais il y avait toujours quelque chose qui l’attirait vers la Tunisie.

“En réalité, j’ai fait quatre retours définitifs en Tunisie, qui ne sont pas vraiment définitifs…” plaisante Leila. “À chaque fois je rentre avec beaucoup d’espoir et je fais face à un mur. Puis à chaque fois que je pars et que je reviens je découvre de nouvelles opportunités. Je commets de nouvelles erreurs, et j’apprends de nouvelles leçons de vie“

Mais le 4ème retour a été le bon. Ce dernier a marqué les débuts de Dar Ben Gacem et la vie en Tunisie “avait un nouveau goût”.

“Désormais, j’ai des responsabilités qui sont plus importantes et mes rêves aussi sont bien plus grands. Je sentais que j’étais dans un environnement où il y a beaucoup de choses à faire.
En plus c’était le retour juste après la révolution. Ceux qui ont vécu à l’étranger le savent, quand on revient avec des idées on a envie de les appliquer ici et on veut travailler avec les gens qu’on a connus là-bas. Mais il faut qu’il y ait une liberté totale pour que tu puisses bien appliquer ce que tu as imaginé. Et ça honnêtement, c’est devenu possible qu’après la révolution.“

Il y a une citation de Zidane qui dit : "C’est mon père qui nous a appris qu’un immigrant devait travailler deux fois plus, qu’il ne doit jamais abandonner. Qu’est-ce que tu en penses ?"

"Tu sais j’ai travaillé en Allemagne dans une multi-nationale avant l’espace Schengen, et j’étais chef de projet sur la région EMEA. Imagine, à chaque déplacement ils devaient me faire un nouveau visa. J’avais presque envie de leur dire « je suis désolée ».
Donc oui, je suis d’accord avec Zineddine Zidane, par contre je ne suis pas vraiment d’accord avec tout ce débat sur « la fuite des cerveaux ». Moi ça ne me dérange pas que quelqu’un parte à l’étranger pour apprendre et revenir ensuite. Tant que tu ne perds pas ta tunisianité et que tu restes loyal à la Tunisie, je ne vois pas où est le problème.”

Au cours de sa vie, Leila est passée par différentes phases qui ont aussi impacté ses finances.

“Avant, j’avais un tout petit salaire, j’étais obsédée par le compte épargne. J’avais toujours peur qu’il m’arrive quelque chose et que je ne puisse pas m’en sortir. Puis en Allemagne, j’avais un bon salaire, je dépensais beaucoup, je me faisais plaisir. À un moment, je me suis dit non non non, il faut que je fasse attention ! Ensuite je suis revenue en Tunisie, c’était la misère. J’avais le strict minimum. Puis je suis repartie à l’étranger, j’ai recommencé à dépenser sans compter, je vivais ma vie, j’achetais des marques de luxe.”

Mais tout cela n’a pas duré longtemps. Leila a finalement décidé que son projet était plus important que tout et qu’elle devait désormais concentrer ses efforts et ses investissements pour le faire marcher.

“Ma relation avec l’argent a totalement changé. Je voulais investir le moindre dinar que j’avais. Je suis devenue anti-marques. Je dirais même minimaliste. Tu vas rire mais maintenant quand j’achète des vêtements il faut que ce soit une marque tunisienne et je fais une story pour encourager les créateurs” raconte Leila.

Elle qui a vécu entre la Tunisie et l’étranger, a pu se rendre compte que la relation à l’argent n’était pas vraiment la même.

“À l’étranger, les gens sont convaincus que plus ils donnent plus ils vont gagner. En Tunisie, les deux ne sont pas forcément liés. Moi je le vois dans mon entourage et les personnes avec qui je travaille, les gens dépensent en été au-delà de leur capacité, puis à la rentrée ils n’ont plus d’argent. Pendant Ramadan, il faut changer toute la vaisselle. Je ne sais pas… Il y a une certaine pression sociale qui parfois prend le dessus sur le fait d’être en harmonie avec soi-même. Je ne suis pas contre que les gens profitent de l’été au maximum, mais il faut prendre ses précautions pour ne pas se serrer plus tard”

Et de la Tunisie et du système financier, Leila avait beaucoup d’anecdotes à nous raconter. Elle a souvent l’occasion de travailler avec des petits artisans qui souhaitent exporter leurs marchandises. Un vrai casse-tête qui, selon elle, n’a pas lieu d’être.

“Mon rêve ça serait que n’importe qui en Tunisie puisse exporter, qu’il fasse entrer des devises et qu’il puisse vivre tranquillement. Ce n’est pas la peine de tout compliquer. Aujourd’hui, le système d’exportation est lié à la banque. Or, la banque n’ouvre même pas de compte au 3/4 des Tunisiens ! Donc puisque tu les prives de compte bancaire, c’est comme si tu lui disais « vous Monsieur, vous ne pouvez pas exporter » !” s’indigne Leila.

“Aujourd’hui le monde est ouvert, les gens voient une photo sur Instagram, ils passent commande. Mais quand il doit faire sortir la marchandise de la Tunisie, on dirait qu’il a commis un crime ! Il se retrouve avec sa marchandise sous le bras à la recherche d’un moyen de l’exporter pour pouvoir recevoir son argent. Dans certains cas il a déjà reçu l’argent et il veut juste envoyer la commande” poursuit Leila.

“Je peux écrire un livre sur ça… On parle de chômage, chômage, chômage... Laisse les gens tranquilles, ils ont des ordinateurs ils peuvent faire entrer de l’argent. Fatma quand elle va envoyer 1 kilo de harissa, l’argent que ça lui rapporte c’est pas pour se divertir, elle ne va pas blanchir de l’argent non plus ! Ça ne sert à rien de compliquer les choses, de lui demander 500 formulaires à la banque centrale, une domiciliation, un compte bancaire etc… Les banques ne peuvent même pas atteindre ces personnes-là donc ça ne sert à rien !”

Mais alors comment y remédier ?

“Il faut, soit un autre système, soit tu laisses la Poste gérer, soit tu fais la sourde oreille et tu laisses les gens exporter, ce n’est pas grave !”

Après une première vie en tant qu’ingénieur biomédicale, une seconde avec Dar Ben Gacem et Blue Fish, Leila rêve d’une troisième vie.

“Si j’avais une troisième vie, je ferais une banque solidaire qui offre tous les outils nécessaires au service d’une grande partie de Tunisiens qui sont aujourd’hui « unbankable »”

En attendant de pouvoir réaliser ce projet, on lui a demandé si elle avait l’occasion de faire passer un message à elle jeune, qu’est-ce qu’elle lui dirait ?

It’s a bumpy road ! It’s a long journey ! Keep smiling ! Je suis tombée pas mal de fois, je me suis relevée aussi pas mal de fois. J’ai été fauchée plusieurs fois, et j’ai recommencé à 0 plusieurs fois aussi. Heureusement que j’ai recommencé ! Donc si je la vois maintenant, je lui dirai “Keep on starting again”.

Note de Emna :

De passage à Tunis pour l’évènement Optimistic Tunisia 2, j’ai eu l’occasion de suivre l’intervention de Leila. Bien qu’elle fût à distance, elle n’était pas moins poignante. Le lendemain, on s’est rencontré à Dar Ben Gacem pour lui parler de Unique. Connaissant son parcours, j’avais très envie de le partager avec vous car je le trouve exceptionnel. Souriante, transparente, la main sur le cœur… Leila dégage énormément de force et déborde d’espoir. Échanger avec elle était un pur bonheur.

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